Melville
Difficulté ***
Profondeur ***
Originalité ***
Emotions ***
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« Moby Dick » souffre du terrible mal d’être considéré comme un roman d’aventures destiné à la jeunesse. D’ailleurs les détails scientifiques de Melville rappellent le réalisme technique de Jules Verne et l’atmosphère tragique et mythologique le Dumas de « Monté Cristo ». Cette naïveté supposée est pourtant absente de cette œuvre encyclopédique pleine de bruits et de fureur, digne du Shakespeare adoré par l’auteur.
La plume de Melville se permet en effet le luxe d’alterner compilation historique, introspection religieuse, description scientifique, biologie animale, anthropologie romantique, poésie fiévreuse, action violente, dialogues rugueux, descriptions soignées et emphatiques … La richesse de « Moby Dick » sert ainsi de bible du baleinier, du marin, mais aussi de l’homme face à la nature.
La variété des mers et des peuples emmène le lecteur dans un voyage fascinant où les races se mêlent sur un même navire dans une fraternité évidente. La galerie de personnages est décrite avec finesse, apportant toute la richesse psychologique nécessaire à cette tragédie prométhéenne.
Car la folie des hommes domine le récit bien au-delà de celle du capitaine Achab, à l’instar des œuvres de Goethe ou Cervantes. Ce thème central éclipse au sens propre l’humanité du texte puisque l’équipage disparaît à la fin de l’histoire sans qu’une seule ligne ne lui soit dédiée.
Au sein de cette déraison, la relation à la baleine est complexe : une grande intelligence, des sentiments et des émotions lui sont attribués. Le respect dû à sa présence ancestrale et à ses formes majestueuses est affirmé. Le dauphin, déjà apprécié dans ce siècle, est reconnu comme un cétacé. Pourtant tous jugent la baleine monstrueuse, comme ils le feraient d’un être humain maléfique. Pour comprendre cette étrangeté, il faut imaginer une époque où l’extinction des grands cétacés était une absurdité, d’ailleurs moquée par le narrateur.
Car l’auteur appartient à cette race singulière d’écrivains dont la vie inspira l’œuvre, ce qui en fait l’aïeul littéraire de London, Steinbeck ou Hemingway. Cela lui octroie une crédibilité unique comme conteur de la vie de marin au 19e siècle et donne une œuvre géniale à la hauteur de sa renommée, sublime plongée dans un monde tragique et disparu.