L'homme invisible
Ellison
Difficulté ***
Profondeur ***
Originalité ****
Emotions ***
​
Récompensé par un national book award (comme les œuvres de Roth, Faulkner, Oates, Irving), 21e de la liste du Time des 100 meilleurs romans en anglais depuis 1923, l’unique roman de Ralph Ellison s’inscrit dans la lignée picaresque du Quichotte pour raconter l’histoire de son héros noir. Le récit prend en effet systématiquement son personnage central de court par la violence de son environnement, qu’il soit blanc ou noir. Ce chaos irrépressible, dont l’ironie mordante est affichée, amène le héros à l’inconscience physique ou à la paralysie psychologique. Les morceaux de bravoure parsèment ainsi le roman et dynamisent le récit.
Le style est élégant et musical, sans négliger le réalisme de dialogues crus, mais certaines mélodies s’éternisent dans les descriptions, s’ajoutant à une introspection lourde et paranoïaque. Et ces doutes et tergiversations conscientes du narrateur limitent l’empathie du lecteur, déjà un peu las de ses accès de faiblesse dans la vie.
Comme souvent dans ce type d’œuvre racontée à la première personne (« l’homme de gingembre », « Lolita »), aucun personnage secondaire n’existe réellement, à l’exception du Dr Bledsoe, et tous sont négatifs ou incompréhensibles, comme une métaphore de la solitude humaine.
Centré sur les problématiques entremêlées de l’identité et de l’individualité, le roman développe une structure précise pour décrire leur impact sur le personnage principal.
Le titre est ainsi expliqué dans le prologue et l’épilogue comme l’incarnation physique de l’absence d’identité du héros, que personne ne reconnaît et dont le nom est ignoré de tous y compris du lecteur.
L’oppression exercée sur l’individu est ensuite décrite dans tous les contextes : université, bar, industrie, hôpital, organisation politique, manifestation … Cette succession d’agressions, physiques ou psychologiques, démontre l’impossibilité pour le narrateur d’exister en tant qu’individu.
La folie imprègne l’histoire : aliénés dans un bar, inceste misérable, électrochocs subis par le héros, paranoïa de la confrérie, mégalomanie de Ras, nymphomanie de Sybil, … Chaque rencontre dans la rue semble pouvoir être fatale au héros tant les individus sont dérangés. Cette atmosphère à la Tchekhov amène une part de fantastique qu’on retrouve souvent dans la littérature classique (Shakespeare, Dostoïevski, Gogol, Caroll), mais elle affaiblit la crédibilité du récit et tend à distancier le lecteur de la psyché du personnage principal.
Cette œuvre majeure sur l’identité noire américaine est difficile d’accès. La folie omniprésente délivre une suite d’événements absurdes et injustes qui accable le héros et justifie sa retraite du monde, mais peine à toucher le lecteur.